Prendre un verre à la cave en Vendée

5 décembre 2017

Temps de lecture : 3 minutes

LE RITUEL DE LA CAVE EN VENDÉE :

L.M. Chauvet n’a pas oublié ses racines au cœur du bocage où il est né.
Professeur émérite à l’Institut Catholique de Paris, il enracinait sa
recherche théologique sur la symbolique sacramentelle dans son expérience
d’enfance et de jeunesse à Chavagnes en Paillers. Exemple, cette phrase
que l’on entendait souvent entre hommes, à l’issue de n’importe quelle
rencontre :  » Vous prendrez bien un verre à la cave ?  » Rien de plus
ritualisé en effet que le verre de vin que l’on prenait à la cave, lieu
de communication sociale entre hommes dans ce bocage vendéen, terre de
vignobles où chaque agriculteur  » faisait  » son vin. A la demande d’un
confrère du cru, si l’on peut dire, Louis-Marie éclaire la symbolique
d’un rite social en voie de disparition.  » Vous prendrez bien un verre à
la cave  » ou en parlange local : Tè. Vé dinc boier’ un coup .
L’orthographe de ce genre de phrase peut sans doute varier, mais tout
habitant du pays en saisit immédiatement le sens et en entend la  »
musique « . Il faut dire que la cave dans notre bocage, c’était tout un
symbole : l’évoquer, c’est évoquer en quelque sorte tout le pays. Il
existait à la cave une manière de se saluer de se dévisager, de s’asseoir
sur le cul des barriques, de prendre son verre quand il vous est remis
(avec un geste de refus :  » ah, tant pis ! allons-y pour un dernier « ),
puis de le boire, ni trop vite, (on n’est pas un goujat), ni trop
lentement ( les autres attendent leur tour),etc. qui vous fait
reconnaître immédiatement comme étant  » des nôtres  » ou pas. Car le plus
important, à la cave, c’était le fait d’ tre ensemble entre hommes (le
plus souvent) et à égalité. Vous comprenez quand on est tous assis sur le
cul des barriques et qu’on boit tous à son tour au m me verre, il n’y a
pas de préséance ; personne ne peut jouer au  » Monsieur…  » Cela crée un
climat ; un climat qui est d’abord celui d’une connivence oï chacun
comprend la moindre mimique, le moindre regard, le moindre ton de voix.
La cave, «a vous fait ressortir l’¬me du pays ; elle ressue par les pores
de la peau des gens, des barriques et des murs. C’est pour cela qu’il
n’est pas besoin de beaucoup parler, à la cave, pour se comprendre. M me
si on y parle aussi pas mal, (l’alcool y a délié bien des langues),
éventuellement  » pour ne rien dire  » l’important se trouve en amont de la
conversation, dans le fait, aussi dense qu’élémentaire, qu’on se trouve
bien ensemble et que, rien que pour cela, la vie vaut la peine d’ tre
vécue. Pierres, bois, objets, odeurs, fraîcheur, tout, à la cave, parle,
bien avant que quiconque ait ouvert la bouche.  » Objets inanimés,
avez-vous donc une ¬me ?  » demande le poète. Une telle atmosphère crée
forcément une intense convivialité. Et celle- ci est propice à la parole.
C’est pour cela que la cave était, (est encore peut- tre,) ce lieu
magique oï les hommes ont traité des affaires les plus importantes,
marchandage concernant la vache à vendre ou le tracteur à acheter;
affaires de famille aussi. C’est pour cela aussi qu’un tel site a bien
souvent permis de dire des choses qu’on n’avait pas pu dire dans un autre
lieu. Alors, ce qui est  » à consommer avec modération  » ce n’est pas la
cave elle-m me, mais ce qu’on y boit.  »

L.M. Chauvet 28-12-2000

Turpin, 79 ans