Mon fils le soldat, par Daniel

5 mai 2013

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Juillet 2006, une heure avant la tombée du jour.

Dans ma maison près de Tel Aviv, le téléphone a sonné. C’était mon fils David. Je ne lui avais pas parlé depuis une semaine. J’étais content qu’il ait trouvé le temps de nous appeler, et encore plus de savoir qu’il allait bien. David, 21 ans, dans les derniers mois de son service militaire, nous téléphonait depuis le nord d’Israël et paraissait troublé. Ce qui était normal, car il était au front.

Tir d’artillerie au Liban en 2006. Source : Associated Press.

Israël était en guerre avec la milice shiite extrémiste Hezbollah au Liban, qui tirait des centaines de missiles et de roquettes sur les villages et les villes du nord d’Israël, visant délibérément les populations civiles. L’armée israélienne répliquait en essayant de ne viser que les combattants du Hezbollah. Mais c’était très difficile, car le Hezbollah tirait intentionnellement ses roquettes et ses missiles depuis des zones densément peuplées, sachant qu’Israël hésiterait à frapper des civils innocents.

Au cours de cette brève conversation avec moi, mon fils est allé droit au but. Il m’a dit que son unité d’artillerie était chargée de répliquer en ciblant la source des missiles et des roquettes qui s’abattaient sans cesse sur les maisons de civils israéliens, et qu’il avait l’impression d’être pris dans un dilemme moral : d’un côté, il savait qu’Israël devait tout faire pour protéger ses populations civiles ; de l’autre, il savait aussi que le prix à payer pour cela était de toucher d’innocents civils libanais qui auraient la malchance de se trouver dans les maisons depuis lesquelles le Hezbollah tirait ses missiles.

Il m’a dit : « C’est très douloureux pour moi de savoir que, pour empêcher d’innocents citoyens israéliens de se faire tuer, je vais sans doute devoir causer la mort d’innocents civils libanais. Je déteste cette situation où il faut choisir entre nos civils et les leurs. Mais le choix est clair. Nous devons faire tout le nécessaire afin de protéger les vies de nos civils. »

Les mots de mon fils m’ont rappelé ceux de Golda Meir, ancienne Premier ministre

Golda Meir (1898-1978), Première ministre d’Israël, ici en 1964.

d’Israël. Elle a dit un jour : « Je peux pardonner aux Arabes de nous haïr ; je peux leur pardonner d’essayer de tuer nos fils ; mais je ne peux pas leur pardonner de faire de nos fils des tueurs. »

Et c’était exactement la situation dans laquelle se trouvait mon fils. Ma femme et moi avons élevé nos enfants dans le respect de tous les êtres humains, et leur avons appris à juger les gens uniquement sur leur caractère et leurs actes, jamais sur leur nationalité, leur religion ou leur passé. Nous leur avons enseigné que cela était particulièrement vrai concernant les Arabes israéliens. Tout comme il y a de bons Juifs et de mauvais Juifs, de bons et de mauvais Israéliens, il y a de bons et de mauvais Arabes. Il faut respecter les premiers et toujours essayer de renforcer la possibilité de vivre ensemble en paix ; quant aux seconds, il faut leur résister et même les combattre, comme tous les extrémistes. Ayant été élevé ainsi, mon fils avait un dilemme clair : la stratégie adoptée par tous les ennemis d’Israël au cours des dernières décennies avait été d’acculer Israël dans une situation où la seule façon de combattre les mauvais était aussi de tuer certains bons. Et ainsi d’atteindre leur objectif, à savoir d’attiser les flammes de la haine contre Israël.

Ce qui m’évoque une autre déclaration de Golda Meir : « Israël sera enfin en paix avec les Arabes le jour où ils aimeront leurs enfants davantage qu’ils nous haïssent. »

Daniel Nissan, traduit de l’anglais par Julie Sibony