Rescapé de la villa Susini

26 mars 2013

Temps de lecture : 3 minutes

Mon arrière grand-père : Mohamed Tahar Tedjini était politicien : il menait des actions contre la colonisation de l’Algérie, par exemple, il formait des scouts : les scouts musulmans.
Un jour, alors qu’il était en voyage à Constantine, un homme tapa à la porte. Mon arrière grand-mère : Baya Tedjini qui, elle et ses enfants étaient resté à Alger, lui ouvrit :
– Bonsoir, désolé de vous déranger à cette heure tardive. M.Tedjini habite bien ici ?
– Oui, mais il est en voyage en ce moment. Pourquoi ?
– Hum, et il rentre quand ?
– Je ne sais pas monsieur. Je vous prie de m’excuser, mes enfants attendent que je leur donne à diner.
– Bonsoir madame … et merci !

Au moment du coucher, le téléphone de la maison sonnât, et Baya répondit :
– Allo ?
– Baya, c’est Tahar, je suis à Alger. On a eu un rassemblement, je te rejoins dans pas longtemps, le dîner est prêt ?
– Je te le réchaufferais, mais…
– Très bien !
– Tahar, attend ! Un homme te cherche. Il est venu tout à l’heure, je lui ai dit que tu étais en voyage !
– Ah ! C’était qui ? Tu lui a dis que je devais rentrer aujourd’hui ?
– Non ! Je ne le savais pas !
Biip Biip Biip : il avait raccroché.
Ma grand-mère Dalila, qui avait 16 ans à l’époque, avait tout entendu.
Mon arrière grand-mère en eut assez d’attendre. Elle décida d’aller se coucher, mais ma grand-mère l’arrêta :
– Maman ! J’ai entendu dire qu’il y avait des parachutistes* dans toute la ville. Et s’il s’était fait prendre ?
-Mais non ! Ton père a du travail ! C’est tout, va te coucher maintenant !
-Mais MAMAN !
-Au lit !
Mon arrière grand-mère eut quand même des doutes et ne ferma pas l’œil. Vers onze heures du soir, le téléphone sonna : c’était un ami de la famille, un espion, qui lui annonçât que son mari était dans la villa Susini, que quelqu’un l’avait dénoncé.
C’était un endroit où les français torturaient les fellagas, ou autres algériens luttant contre la colonisation française, parfois jusqu’à la mort.
Mon arrière grand-mère prit son courage à deux mains et décida d’y aller, car si elle le laissait passer la nuit là-bas, elle savait qu’il n’en sortira jamais. Ma grand-mère ne dormait toujours pas elle non plus et réussit à convaincre sa mère de l’y emmener avec elle.
Quand elles arrivèrent là-bas, le gardien ne les laissa pas entrer et pour cause, c’était des femmes !
Ma grand-mère lui dit dans un français irréprochable qu’elles étaient françaises et qu’elles venaient voir le Colonel Matou.
En effet, elles avaient toutes les deux le type européen et une tenue vestimentaire adéquate. Mon arrière grand-mère était institutrice et ma grand-mère, une lycéenne qui préparait un bac littéraire.

Le gardien les laissa entrer. Un militaire les escorta jusqu’au bureau du colonel Matou.
Un homme en sang était assis à l’entrée, c’était un ami de mon arrière grand-père, mais il tourna la tête pour ne pas qu’elles le saluent. Ainsi, il évita qu’un rapprochement quelconque soit fait entre mon arrière-grand-père et lui.
Au fur et à mesure qu’elles avançaient, un climat de terreur se faisait ressentir. Elles entendaient des cris horribles venant du sous-sol, des soldats français en tenues de parachutistes allaient et venaient dans les couloirs obscurs.
On les laissa attendre dans un vestibule attenant au bureau du colonel Matou.
Après un moment, mon arrière grand-père apparut dans l’entrebâillement de la porte escorté par deux militaires. Il avait l’air serein. Lorsqu’il les aperçu toutes les deux, son visage se crispa.
Mon arrière grand-mère, de peur qu’il ne pense que les autorités françaises ne l’ai aient arrêtées, lui dit calmement:
– Tahar, on est venues te chercher.
Tout de suite, un des deux soldats au béret vert les emmena dans des salles différentes pour procéder à un interrogatoire.
Ma grand-mère ainsi que mon arrière grand-mère du fait qu’elles parlent un français châtié ne semblaient pas répondre au profil de personnes menant des actions pour la libération de l’Algérie.
Après un interrogatoire interminable, ma grand-mère qui était interrogée par le colonel matou en personne, osa lui dire :
– Colonel, on peut rentrer chez nous maintenant ? Nous devons tous prendre le bateau pour Marseille demain pour les vacances scolaires. Mlle Durant nous y attend, appelez-là pour confirmer.
Mlle Durant était la nièce du Maire de la ville d’Alger, des gens connus pour être raciste.
A ces mots, le colonel fût totalement convaincu de l’innocence de mon grand-père.

Bien installé et à l’abri dans la villa des Durant sur les hauteurs de Marseille, la famille Tedjini pu lire dans les journaux que mon arrière grand-père était condamné à mort.

Il continua à mener des actions pour libérer son pays et mourût en homme libre en 1978.

Hadhami Khelifa