Le dernier repas, par Godi

4 mars 2013

Temps de lecture : 3 minutes

Transcription de l’histoire audio

C’est une histoire qui m’a été racontée par une dame très âgée à l’époque et qui n’est plus de ce monde. Elle était originaire de la petite ville en Pologne dans laquelle s’est passé cet événement. C’était pendant la guerre, il y avait un jeune homme qui devait avoir dans les treize ans mais à qui l’on donnait facilement 15, 16 ans. Son grand-père et son père étaient des menuisiers et lui-même était dans la forêt comme bûcheron pour amener des troncs et du bois que son père transformait ensuite en meubles.

Le grand-père, dans le soir de ces temps perdus, s’amusait à faire des figurines en bois. Or, dans la tradition juive c’est interdit de représenter la personne humaine. Mais il le faisait en cachette, et ceux qui ont vu ces petites figurines qui étaient très belles ont même dit que c’était un peu caricaturisé. On a celui qui fait la circoncision, celui qui tue les vaches, enfin les métiers et rituels juifs.

Au moment des faits, ce jeune homme est donc dans la forêt pendant deux ou trois jours et quand il revient le village est brûlé. Plus personne. La plupart des Juifs ont été amenés – ça on l’a su plus tard, et beaucoup de Polonais non-Juifs ont été tués en représailles parce qu’il y avait eu des morts, des soldats allemands qui avaient été tués. Il se retrouve tout seul, il revient dans la forêt et alors il se décide à faire des statuettes comme son grand-père. Des statuettes en bois, il était très doué. Au lieu de faire des sujets juifs parce qu’il a très bien compris le problème, il a commencé à faire des petits Jésus, des petits Joseph, des petites Marie : il reproduisait les choses qu’il voyait, vous savez qu’il y a en France dans les routes de campagne des sanctuaires qu’on appelle des calvaires avec la Vierge Marie, etc.

Et ça marchait, le dimanche il allait d’une ville à l’autre sur le parvis des églises et il vendait. C’était même très apprécié et ça lui permettait de vivre. Inutile de vous dire qu’il n’avait pas le type juif, autant qu’il y ait un type juif. Il parlait très bien le polonais parce que son père avait exigé qu’il fasse l’école publique polonaise. Ça a duré plusieurs mois, et arrive un dimanche. C’était six semaines avant Noël. Un officier allemand passe, voit ces choses et est emballé. Il dit au gars qui faisait la traduction : « Dis à ce jeune homme de me préparer un dernier repas pour Noël. Je vais à Berlin pour Noël, je veux emmener avec moi un dernier repas : la Cène. » Il lui donne une somme d’argent conséquente, une avance. Une somme d’argent que le jeune homme n’avait jamais vu.

Donc il avait six semaines, il se met à travailler. Dans sa tête de petit Juif, qu’est ce que c’est un dernier repas ? C’est un repas d’adieu pour l’oncle qui s’en va en Amérique ou bien qui s’en va en Palestine, donc dans un repas d’adieu, tu as la grand mère, tu as la mère, tu as les petits frères, les petites sœurs, les oncles. Comme c’est un officier allemand, il a fait une table avec entre 25 et 30 personnes : une table avec de la viande, des légumes, des fruits, des boissons. Tout ce qu’on peut avoir. Il a aussi fait des officiers allemands, la mère de l’officier, la grand-mère de l’officier. Il a fait surtout des types Polonais parce qu’il ne connaissait pas vraiment les types Allemands. Il avait aussi l’officier allemand avec son grand uniforme.

Il a travaillé jour et nuit et ça a été prêt un peu avant les six semaines. Arrive l’officier, il regarde et ne comprend pas. On ne sait pas exactement si c’est l’officier allemand qui a compris ou bien quelqu’un d’autre, il y avait beaucoup de gens autour. L’interprète dit au jeune homme : « Enlève ton pantalon ».

Là, ils ont découvert qu’il était Juif. Il n’est plus revenu.

Gadi Golan