Docteur Saleh, par Shimaa

28 décembre 2012

Temps de lecture : 2 minutes

Transcription en français de l’histoire audio en anglais

J’ai perdu ma virginité à l’âge de seize ans. J’ai été mariée, c’était un mariage arrangé avec le fils du cheikh d’une confrérie soufie, ce qu’on appelle une tariqa. Toute ma famille était disciple de cette confrérie. Et le cheikh a fait un rêve dans lequel le Prophète lui disait que je devais épouser son fils. Qui était malade, très malade, il était schizophrène. L’homme qui a réellement pris ma virginité, je ne me souviens même pas de son nom. C’était un médecin, on l’appelait le docteur Saleh, c’était écrit en arabe et en anglais. Ça se passait en Australie, à Sydney. Je ne me souviens de rien, même pas de son visage. Sauf d’une chose : l’instrument qu’il utilisait. C’était terrifiant. Ma belle-mère se tenait juste à côté de moi et me disait : « Ne crie pas, chez nous les femmes ne crient pas. » Je ne comprenais pas pourquoi elle était aussi dure. Je ne lui en ai jamais voulu à lui, il était malade. Et moi je ne savais rien de la vie, je n’avais que seize ans, mon Dieu ! Le seul souvenir que j’ai, c’est mon reflet dans la glace pendant que j’épongeais mon sang avec des mouchoirs.

Cet instant de ma vie n’arrête pas de me revenir. Mais je n’arrive pas à l’écrire. Je suis écrivain et je n’arrive pas à l’écrire. Alors c’est déjà un progrès que je vous le raconte ! [elle rit] J’ai songé à aller voir un psy. Je suis tombée amoureuse après ça. J’ai divorcé, je suis tombée amoureuse et j’ai fini mes études, mais ce moment, cette histoire, ce jour-là, je crois qu’ils m’empêchent encore de comprendre mon corps, la valeur de mon corps. Je ne sais pas… Peut-être que je devrais aller en parler à un psy, mais je ne vois pas trop ce qu’il pourrait me dire ou me faire.

C’est juste que… Aujourd’hui, j’ai une fille. Elle est magnifique, c’est la chose la plus importante que j’aie au monde et j’ai peur qu’elle ne puisse pas comprendre son corps ou que quelque chose la fasse souffrir. [elle se met à pleurer] C’est une pensée qui me torture à chaque minute de ma vie. L’influence de la religion quand on est aussi jeune, c’est terrible. Après ça j’ai mis très longtemps à comprendre les choses. Mais la bonne nouvelle, c’est que j’ai fini par comprendre. Et parfois j’arrive à être en paix, même si je garde aussi des peurs. Voilà, je ne peux pas… Voilà mon histoire.

Shimaa, Le Caire
Traduit de l’anglais par Julie Sibony