Deux histoires vraies de Marjane Satrapi pour le prix d’une

22 mai 2012

Temps de lecture : 5 minutes

Ce mardi, puisqu’il n’y a rien eu hier, cause problèmes d’internet, voilà deux histoires vraies de Marjane Satrapi tirées de l’album Broderies : des discussions de femmes iraniennes du début des années 1990, quand, après le déjeuner, les hommes partent comme d’habitude faire la sieste et que celles-ci, après avoir débarrassé, se mettent à boire le thé : tout le monde se réunissait autour de cette boisson afin de s’adonner à son activité favorite : la discussion. Mais cette discussion avait aussi sa signification bien à elle, car « parler derrière le dos des autres est le ventilateur du cœur ».

un album de l'Association, dont demain je reproduirai le passionnant code-barre...

Les huit femmes ainsi réunies par le thé vont chacune raconter une histoire, mais la première histoire, Marjana la réserve à sa grand-mère : c’est l’histoire de Nahid (je retranscris le texte de la bande dessinée, qui est à mon avis tout à fait lisible sans les dessins, qu’il s’agira pour vous d’imaginer…)

Oui… la pauvre. Elle est décédée après des années et des années d’incontinence. Mais enfin, ce n’est pas bien de dire du mal des morts. Les défunts sont si inoffensifs !

Quand elle et moi étions jeunes, nous devions avoir à peine 18 ans, ses parents lui ont choisi un mari. Evidemment à l’époque tout le monde s’unissait de cette façon. Le problème était qu’elle en aimait un autre dont j’ignorais le nom…

Trois semaines avant son mariage, j’étais sortie acheter je ne sais quoi, quand soudain je l’ai croisée :

Nahid, qu’est-ce qui t’arrive ? Quelqu’un de mort ?

Ma vie est foutue !

Mais non, mais non, tu verras, tu auras vite oublié l’autre… Avec le temps tu apprendras à aimer ton mari…

J’ai perdu ma virginité !

Quoi ! Comment ça ? Qui te l’a enlevée ?

Gholiii !

C’est comme ça qu’il s’appelle ton amoureux clandestin ? Pourquoi il t’a fait ça ce salopard ?

Je l’aime, il m’aime… j’étais allée lui dire adieu… On ne voulait pas le faire… c’est arrivé comme ça…

Comme ça !!

Oui… Je vais me marier dans 19 jours. Mon mari saura que je ne suis plus vierge, tout le monde le saura ! Mon père me tuera ! Aide-moi, je t’en prie, fais quelque chose !

Malgré mon jeune âge, j’avais déjà divorcé de mon premier mari. J’avais de l’expérience. J’ai dit à Nahid que j’avais besoin d’un peu de temps pour trouver une astuce. Je lui donnai rendez-vous pour le lendemain.

J’y pensai toute la nuit… et au petit matin j’eus la solution

Tiens, prends cette petite lame de rasoir. Le soir des noces, tu serres bien les cuisses, tu cries très très fort et le moment venu, tu te coupes un peu, mais juste un tout petit peu ! Il y aura quelques gouttes de sang. Lui sera fier de sa virilité et toi, tu auras l’honneur sauf.

Puis vint cette fameuse nuit où, dans la chambre nuptiale, elle se retrouva enfin en tête à tête avec son mari, celui que vous avez toutes connu…

Elle serra donc bien les cuisses… le bonhomme n’était même pas déshabillé qu’elle se mit à hurler, et lorsqu’il la rejoignit au lit, au lieu de se couper elle et ben, elle le coupa lui !

Ah Ah Ah !!!

Alors vous vous imaginez bien ! Le pauvre type !!! Non seulement il a été trompé sur la marchandise mais en plus il s’est retrouvé avec une couille coupée !

Ah le pauvre !

Bien fait pour lui !

Ils ont quand même vécu ensemble !

Bien sûr, tu sais mon enfant, la fierté des hommes est placée dans leurs bourses. Quand on se retrouve avec un testicule en sang, il est préférable de se taire.

J’aime à penser que cette histoire est vraie, ou en tout cas que la grand-mère de Satrapi s’est inspirée d’une histoire vraie pour la raconter, et qu’elle s’est déformée à force. Il faudrait demander à Marjane… Tout comme celle de Shideh, que raconte Marjane après que toutes les femmes ont juré d’être des tombes :

Vous connaissez toutes Shideh ?

La planche à pain avec une tête de cheval ?

Elle-même ! Et bien elle s’est mariée à l’âge de 17 ans avec le premier venu pour fuir la maison de ses parents qui la tyrannisaient. Deux ans plus tard, après que ses besoins sexuels ont été assouvis, elle s’est rendu compte qu’elle n’avait rien à partager avec cet homme. Ce fut la croix et la bannière pour qu’elle obtienne son divorce. J’avais arrêté de la voir pendant toute cette période car je détestais son mari. Pour moi, il était l’incarnation même du néant. Je l’ai croisée par hasard, l’année dernière lors d’une fête. Elle avait beaucoup changé…

C’est toi Shideh ! Je ne t’ai pas reconnue. La dernière fois que je t’ai vue, tu étais brune !

Oui, j’ai décidé de prendre ma vie en main. Je veux trouver un homme qui me comprend et me respecte. Tes prières marchent. Fais-en une pour moi.

Bon, je ne sais pas si ça a un rapport avec mes prières ou pas mais depuis quelques mois elle a rencontré un homme, un certain Kourosh qu’elle qualifie d’A-DO-RABLE !

C’est qui ? Il est beau ? Et ça se passe bien au lit ?

Je ne l’ai vu qu’en photo. Il a l’air un peu vilain mais comparé à son ex-mari qui ressemblait à une vieille saucisse, c’est un vrai filet mignon.

Je suis déçue. C’était ça ton histoire secrète et incroyable ?

Attends ! On n’en est qu’aux préliminaires, le meilleur reste à venir.

Même si ce Kourosh est adorable et superbe, il y a tout de même un énorme problème : sa mère ne veut pas qu’il épouse Shideh. Cette dame a deux fils. L’aîné s’est marié avec une femme divorcée qui lui en fait voir de toutes les couleurs :

Ton grand frère a pris une femme divorcée pour femme. Une vraie pétasse sans dignité !! Tu as vu où ça nous mène ? Et tu veux faire pareil !!?? Si tu l’épouses… je me tue aux somnifères… je me plante un couteau dans le ventre… je m’étouffe avec un oreiller…

Enfin bref, chaque jour elle invente une nouvelle méthode pour se suicider… Le copain de Shideh est désemparé. D’une part, il ne veut pas perdre Shided et d’autre part, il ne veut pas faire de peine à sa mère. Alors il a proposé à Shideh qu’ils restent ensemble juste comme ça, sans se marier.

Bien sûr ! C’est mieux quand c’est gratuit !!

L’autre jour, elle m’appelle pour me demander si je veux bien l’accompagner chez une dame qui fait de la magie blanche.

Nous sommes arrivées dans une impasse pourrie. Je ne savais même pas que ce genre de rues existait à Téhéran.

Vous aimez quelqu’un, a dit la dame… Dans son prénom, il y a la lettre « o » et la lettre « s ». Il est beau. Il est gentil. Il vous aime beaucoup… Mais sa mère, oh la la ! Sa mère est une vipère. Elle est méchante. Elle ne veut pas que son fils vous épouse. Elle fait tout pour l’en empêcher !! Ah la mauvaise ! Ah la vilaine ! Ah la charogne !!

Oui, je sais. Que devrais-je faire ?

Attendez ! J’ai la solution. Tenez ! Prenez cette clef. Vous préparez du thé. Vous couchez avec lui. Une fois l’éjaculation faite – attention ! Il doit venir en vous – vous mettez la clef dans votre vagin. Vous comptez jusqu’à 7. Ensuite vous la retirez et vous la déposez dans une tasse. Vous ajoutez du thé par dessus. Vous comptez jusqu’à 7. Pour finir vous retirez la clef. Le thé ainsi préparé doit être bu par l’élu de votre cœur dans les 77 secondes qui suivent l’éjaculation. Voilà ça fait 3000 toumans (environ 30 euros en 1991).

Évidemment elle a suivi tous les conseils de la magicienne à la lettre : elle a préparé le thé, fait l’amour, couru vers la cuisine, mis la clef en elle, puis dans le thé 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, ensuite elle a recouru vers la chambre et une fois là :

Tiens mon chéri, je t’ai fait du thé.

Je n’ai pas envie de thé, j’ai envie de toi.

Cette première tentative fut un échec car il ne lui restait plus que quelques secondes pour persuader son copain de boire le thé magique sans dépasser les 77 secondes. Elle n’y est bien sûr pas parvenue.

La seconde tentative fut aussi un échec :

Mon amour, je t’ai préparé du très bon thé !

J’ai plutôt envie d’un coca frais.

Quand au troisième essai…

Je veux bien du thé, lui dit-il.

Ah, c’est génial ! C’est super ! Je t’adore !

Mais c’est dégueulasse ! C’est quoi ce truc blanc qui flotte ? Je ne peux pas boire ça !!!