Mohamed, du Village italien d’Alger

26 février 2012

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J’ai rencontré Mohamed devant le match France-Italie, dans le salon de thé La Cigogne, rue Pasteur, qui avait bien voulu, je les en remercie, me mettre le rugby sur France 2 pour ce premier tour du Tournoi des six nations. Pas facile de trouver un pub irlandais qui passe le rugby à Alger.

Pendant toute la première mi-temps, je lui explique les règles de base, la mêlée, le principe d’avancer en passant la balle en arrière, lâcher sa balle après plaquage, les difficultés de l’évaluation du hors-jeu, la nouvelle règle plaqueur-plaqué. Pas évident, bien sûr, mais il s’accroche, et la virilité, la violence du jeu lui plaît. Lui-même pourrait très bien jouer flanker. Il a le nez cassé, quelques cicatrices, les épaules solides : un 7 typique.

Tu vois les grands costauds ce sont les deuxièmes lignes, les petits gros en forme de cubes les piliers, et en soutien les troisièmes lignes. Et puis le 9 et le 10 pour distribuer, et les arrières pour courir.

Petit à petit il se prend au jeu, me pose des questions, on sympathise, il m’explique que lui, son sport, c’est la boxe, les arts martiaux. Il me montre ses cartes de membres. Je lui dis que j’ai fait un an de boxe, qu’avec le rugby c’est un sport qui me plaît. Il me prend aux mots, m’invite à m’entraîner dans son club, à Bab-El-Oued. Mercredi soir, 19 heures.Tu ne payes rien, tu es chez moi. Je lui dis d’accord.

La salle est carrée, le ring en feutre bleu prend quasiment tout l’espace, et nous sommes une vingtaine à faire des exercices de musculation autour, d’abord les jambes puis les bras, sur du carrelage glissant. On nous appelle un par un pour une séance particulière avec le coach, un poids lourd terrifiant. Gauche gauche droite gauche, etc. Puis une douche froide dans des vestiaires individuels. Je suis épuisé de courbatures. Dehors il pleut à verse, il caille. On va manger un chawarma sous les voûtes haussmaniennes blanc délabré. Mohamed a l’air content de m’avoir rencontré. Avec son français de la rue, il me raconte où il en est. Il travaille comme soudeur, ferronnier, sur les chantiers. Il aimerait partir au Canada, peut-être en France. Il habite le Village italien, au-dessus de Bab-El-Oued, juste aux pieds de Notre-Dame d’Afrique. Mais maintenant il est séparé de sa femme, il ne sait pas quoi faire.

J’ai connu cette fille, je l’ai aimée pendant une année et j’ai demandé sa main. Elle était d’accord et sa famille aussi. Je me suis présenté, j’ai dit je suis forgeron-soudeur. Le père a dit ok. Puis j’ai perdu mon grand-père. Quand on a un décès, on ne fait pas la fête, donc pas de fiançailles. J’ai donné les bijoux et les vêtements, mais je n’ai pas pu donner l’argent de la dot parce que je devais le garder pour retaper une maison pour qu’on y vive. Je payerais plus tard. Mais elle, elle avait des belle-sœurs qui lui mettaient la pression pour me forcer à lui donner sa dot. Et là elle a exigé qu’il y ait la fête de fiançailles et la fête de mariage séparées. Je ne pouvais pas, c’était trop cher. Elle a rompu. Et elle n’a rendu ni les bijoux ni les vêtements. Je suis allé voir son frère aîné, il m’a dit va voir mon père. Comme ils habitent trop loin, j’ai appelé ma fiancée. Elle m’a injurié au téléphone. Elle a insulté ma mère. Je lui ai dit ça y est, rhallass, et j’ai rompu avec elle. Quinze jours après ses sœurs ont essayé de réconcilier les choses, mais je n’ai rien voulu savoir : elle avait insulté ma mère. Moi je suis de ceux qui, quand ils lancent une parole, c’est une balle. Quand elle sort de la bouche, elle ne revient plus.