Une journée à l’aéroport

17 décembre 2011

Temps de lecture : 4 minutes

Lyon, samedi 17 décembre

Tout va bien se passer, l’ange Gabriel va nous faire décoller, explique Marie-Thérèse. Avec Juan, que je viens de rencontrer dans la file d’attente, on se rapproche d’elle pour que le charme agisse mieux. Elle touche le médaillon. C’est de l’argent. J’ai flashé quand je l’ai vu, il fallait que je l’aie. J’ai appelé le fabricant et comme ça sans réfléchir il m’a fait 20% de réduction. Il n’y a pas de hasard. Je lui dis que ma grand-mère s’appelait Gabrielle. Ça non plus.

L’avion pour Lyon de 11h50 vient d’être annulé. Ces connards de Français sont encore en grève, rumine la queue. Il est presque 14 heures. Une beauté anglaise easyJet tout d’orange vêtue nous raconte qu’il y a un avion pour Paris à 16h10, ou pour Genève à 17h, Lyon que le lendemain. Marie-Thérèse consulte Gabriel qui évidemment choisit l’option Genève.
Pour patienter nous avons droit à trois bons d’alimentation chacun. Le cœur plus léger, nous nous dirigeons vers le snack-bar du terminal. Juan nous fausse compagnie car il a quelque
chose à déclarer aux douanes. A mon avis c’est un policier, me dit Marie-Thérèse, et ce qu’il a à déclarer, pas de l’huile d’olive…
Avec nos tickets de rationnement on s’empiffre donc joyeusement à la santé du low cost.
Tout ça ce n’est rien pour moi, nous dit Marie-Thérèse. Mon ex-mari a failli m’enfermer pour toujours à Saint-Jean-de-Dieu (un des hôpitaux psy de Lyon), une HDT avec l’aide de mon frère pour avoir la garde de mes filles, alors maintenant rien ne peut m’arriver. Si tu savais ce que j’ai vécu, ce n’est pas une histoire vraie, mais mille que je pourrais te raconter.
Je finis par demander à Juan, qui au départ s’est présenté comme commercial, ce qu’il vient vendre en France.
En fait, je viens acheter, explique-t-il. Je travaille pour une entreprise espagnole qui s’occupe de métaux précieux. Nous recyclons les pots catalytiques usagés, qui contiennent du platine, du radium, de la céramique.
La mallette, en réalité un petit sac à dos en toile, contient quelques centaines de milliers d’euros pour payer cash 4000 pots catalytiques à une entreprise basée près de Dijon. D’où la déclaration aux douanes.

L’avion est annoncé avec du retard, une heure, puis deux heures. Avant d’être dans les métaux précieux, Juan a été coiffeur pendant 19 ans, puis il a racheté une entreprise de volets extérieurs, mais l’associé était malhonnête. Marie-Thérèse explique qu’elle a toujours voulu être fleuriste mais surtout coiffeur. Marie-Thérèse est infirmière à Lyon et elle coupait les cheveux à toute la famille avant le divorce. De toute façon maintenant ses filles sont trop grandes, elle ne veut plus y toucher.
Trois jeunes Catalans derrière nous ont eu la bonne idée d’acheter une bouteille de gin en
dutyfree. Je vais chercher des glaçons et du tonic au snack-bar et on commence à se détendre, à relativiser l’attente. Je leur explique que finalement moi aussi je suis pour l’indépendance de la Catalogne, et que l’occupation qui dure depuis 1714 doit cesser. Et puis quel match merveilleux, hein ?! Le FC Barcelone est vraiment la meilleure équipe du monde ! Avec une équipe comme ça ce n’est pas un pays autonome qu’on mérite mais plusieurs.

Au micro, on annonce que le vol ne partira pas avant 22h30, et encore. La bouteille de gin s’est évaporée, les fumeurs allument des cigarettes ici et là, certains se servent à la pompe à bière du snack-bar, maintenant fermé, qui par miracle coule encore.
Un petit troupeau de Suisses gras avinés, qui sortent juste de deux jours de tourisme sexuel avec les Albanaises du Raval, beugle quelques invectives anti-easyJet. Le micro annonce que finalement l’avion n’ira pas à Genève mais à Lyon (intempéries, avaries) et qu’il partira à minuit et quart.
C’est pas à Lyon nous qu’on veut aller, c’est à G’nève !
Un des deux jeunes du groupe, une bouteille à la main cachée dans du plastique, explique qu’il s’est fait maltraiter par la Guardia Civil juste parce qu’il les prenait en photo. Qu’il va leur faire bouffer leur merde, à ces connards de keufs, etc. En même temps qu’il dit ça, les forces de l’ordre s’approchent de lui, le prennent à part et le sermonnent.
Ils ne vont pas le garder, dit un Suisse dans la queue, ils veulent juste qu’il s’excuse. Plus tard dans l’avion il y aura un esclandre, un des vieux de la bande a mis une main au cul de l’hôtesse de l’air, How dare you ! Ce gros porc avait l’air ennuyé. C’était sans réfléchir, disait son œil bovin. La fille était furieuse.

Dans l’avion nous nous endormons tous les trois et je rêve que les habituels chauffeurs nous attendent à l’aéroport de Lyon, mais qu’au lieu de nos noms sur les ardoises qu’ils brandissent, il y a écrit : Tortilla, Jamón de Pata negra, Papas Fritas, Calamares a la plancha, Paella…

Finalement l’avion se pose et nous relâche dans la nature. Nous prenons tous les trois un taxi. D’abord Juan à son Ibis, puis Marie-Thérèse, puis moi. Nous nous promettons de nous revoir bientôt pour trinquer à cette journée qui est passée comme une flèche grâce à l’angel salvador Gabriel.