El Carmel

11 décembre 2011

Temps de lecture : 3 minutes

Barcelone, dimanche 11 décembre

Il a dans les 43 47 ans je dirais, c’est un ami que j’aime beaucoup, antiquaire spécialisé dans le lustre, repriseur de pampilles, électrifieur d’armatures Louis XV. Il tient une boutique à Lyon à Stalingrad, Le Soleil noir. On s’appelle de temps en temps : allo ? c’est l’improviste, tu es libre ? pour manger une andouillette. Mais jamais le dimanche. Le dimanche c’est le jour du poulet. Depuis 43 ou 47 ans, me disait-il l’autre fois, que je mange mon poulet en famille. Combien ça fait de dimanche ? Combien ça fait de poulets ?
J’ai beau respecter les traditions, cette coutume païenne, primitive, le fétiche jaune et luisant au centre de la table, la nappe blanche, le grand couteau du père, la mère qui apporte la sauce, me semblait réservé à certaines tranches de population de Bresse. Apparemment j’avais tort : le phénomène est mondial. A Barcelone, le pollo du dimanche a gagné du terrain et semble aujourd’hui un rituel acquis. Je suis allé vérifier. Les rôtisseries dès le matin sont prises d’assaut : de La Taverna del Cura, Carrer Gran de Gracía, sort une queue de 20 mètres, et pareil pour le boucher de la Carrer Pi Margall, dans le quartier du Carmel.

Mais moi j’avais envie de poulpe, et on m’avait recommandé El Mirador del Carmelo, rue Pasteur. La carrer de Praga, qui monte vers les hauteurs du Carmel, est prolongée par la carrer de França, puis ce ne sont que des escaliers jusqu’en haut.

Carrer de França, à la recherche du poulpe…

Au sommet du parc Güell, un jeune couple se bécote en prenant des photos : l’œil du type, la bouche de la fille. Des détails. Ils manquent de recul, c’est peut-être ça l’amour.
Il fait ciel bleu et frais depuis une semaine, les pies caquettent dans les arbres et je me mets une poignée de ces petites fleurs blanches, qui sentent fort le miel, dans la poche. La ville est calme dans la lumière orange de fin de journée, avec juste un soupçon de brume. Mes doigts sentent la ruche.

Redescendant le Carmel, encore en plein vertige poétique, je remarque des bouteilles d’eau de 3 litres près des roues des voitures. Comme pour les caler, je pense d’abord, mais non ce n’est pas ça (décidément je tiens un thème depuis le début de ce journal).

" C'est quoi c't histoire ? "

Je demande c’est quoi c’t histoire à un jeune rasta indigène, dreads jusqu’aux genoux, qui passe par là. Il lève la jambe pour me mimer, comme il a vu que je suis étranger, puis m’explique avec ses mots que c’est pour que les chiens ne pissent pas sur les voitures.
Peut-être que l’eau leur fait peur, me dis-je, ou peut-être que la bouteille les gêne pour lever la patte. Tout le chemin du retour je me demande : l’eau ou bien la bouteille. Mais pourquoi l’eau ferait peur à un chien ? En même temps la bouteille ne semble pas gêner tant que ça. Tout dépend de la taille du chien. Ah si j’avais un iPhone… Mais si j’avais un iPhone, je taperais quoi dans le moteur de recherche ? Bouteille + à côté pneu + antichien ?… Est-ce qu’internet est aussi puissant que ça ? Pas certain. Voilà encore un mystère à résoudre pour Pepe Carvalho.

Tout dépend de la taille du chien…